Les hommes préfèrent Les dragons
Les femmes, les roses.
« Ça coûte moins cher qu’un bijou et on ne risque pas de le perdre! • Armé d’un dermographe électrique, Gilles le tatoueurs « opère » un patient, solide gaillard musclé, moustachu et chevelu, dans son officine de Saint-Marc, à Brest (4, rue Kérivin ). Il est installé dans un quartier où se pressent, de part et d’autre d’un sex -shop, bars américains et restaurants de nuit. Il ne manque pas de travail, mais juge qu’il n’a pas assez pignon sur rue et rêve de s’installer du côté de la rue de Siam, où son activité ferait un peu plus d’étincelles. Son client du moment est venu lui demander d’inscrire, sur son bras gauche, en caractères gothiques, un adjectif anglo-saxon, « Damned », qui se passe de traduction !
Une gigue effrénée de 4.000 tours à la minute
Un calque posé sur la peau y a laissé son empreinte. D’une main sûre et rapide, Gilles guide l’appareil, au bout duquel deux petites aiguilles suintantes d’encre indélébile mènent une gigue effrénée au rythme de 4.000 coups minutes. Le bruit ressemble, en plus discret peut-être, à celui que fait la roulette dans le cabinet d’un dentiste. «Je préfère être Ici », confie le patient. » Ça n’est pas Indolore, mais les gens s’adaptent vite à la sensation de brûlure qui les gagne « , explique Gilles, un garçon de 24 ans (l’âge de bon nombre de ses clients), mince, vif, pour ne pas dire nerveux, une moustache, des cheveux ras et bruns, le front très dégagé, quatre petits anneaux accrochés à l’oreille gauche.
« Quelle que soit l’importance du dessin, les séances ne durent Jamais plus de trois heures. Ce serait trop éprouvant, dit-il. Les hommes tombent parfois Dans les pommes, les femmes jamais. ».
Symbolique, esthétique ou, bravade
En effet, ‘ sa clientèle n’est pas exclusivement masculine. » Autrefois, ceux qui venaient se faire tatouer, étaient » les durs ‘, des marins ayant fait plusieurs fois le tour du monde. Ils Imprimaient sur leur corps les symboles de leurs voyages ou toute autre chose : cœur, dragon, etc… Les « bourgeois », pour s’encanailler, allaient les voir danser du côté de la Bastille. »
Churchill aussi
« Le tee-shirt » à rayures qu’ils portaient laissait voir leurs tatouages. Mais, on semble Ignorer que bien des personnages célèbres se sont fait tatouer: Churchill, par exemple, Le père de Tolstoï aussi, parait-il. » Mode des pays civilisés, avec des vogues (en ce moment comme à la fin du 19eme siècle) le tatouage remonterait à des milliers d’années. Il est encore pratiqué largement chez certaines peuplades de Nouvelle-Zélande, d’Afrique, du Japon et d’Amérique. On ne s’y contente pas toujours d’orner le corps ; on imprime sur le visage des signes religieux ou de pure esthétique. A New York, II arrive de croiser de curieux personnages, nullement Issus de ces peuplades. Curieux, mais parfois repoussants, pour avoir tatoué leur figure d’images de mort ; Par bravade…
Les marques du dragon: difficiles à effacer
« Nous sommes une dizaine de tatoueur en France (deux en Bretagne, le second exerçant à Lorient). Nous nous refusons à faire quoi que ce soit sur les visages», déclare Gilles. On ne peut que leur donner raison. Passons sur la petite» douleur de l’opération et la plaie qui se cicatrisé au bout de 10à 15 jours. Le tatouage est assez simple à réaliser. Autrement difficile est l’entreprise qui consiste à « effacer » le dessin. « Je l’ai rarement vu bien fait. Disons que ça laisse plus ou moins de marques. Il vaut mieux cacher, par un nouveau tatouage, celui qui déplaît. »
Pour les femmes: des cœurs ou des roses
Ce sont essentiellement des hommes qui se présentent chez le tatoueur brestois .Mais, parfois, ils y conduisent leur femme, alors qu’ils craignaient, en y allant pour la première fois, « leurs reproches… « Je reçois deux ou trois femmes par semaine » confie-il. Les hommes se font tatouer des bustes féminins, des dragons, des serpents. ou des jonques chinoises sur leur poitrine et leurs bras (« C’est assez douloureux sur le ventre et les hanches « , avoue un client). Les femmes affectionnent les petits motifs à base de cœurs ou de roses. Elles exposent au dermographe les mêmes parties de leur corps, avec une préférence pour leur bras. Remontant l’une de ses manches, une jeune femme dévoile plusieurs tatouages : un prénom masculin qui est celui de son ma ri (il en remplace un autre… qu’il a fallu dissimuler sous une fleur !le prénom de sa fille et, à côté. une croix dans un cœur en souvenir d’un enfant qu’elle a perdu, Rien enfin de compte, qui ne prête a sourire chez cette personne très sentimentale. Mais, les motivations des tatoués ne sont pas toujours d’une telle nature.
Claude Grandmontagne